Depuis 40 ans, le TIG permet de développer les conditions d’une meilleure insertion professionnelle des personnes condamnées, afin de lutter contre la récidive.
Introduite dans le droit français en 1983 par Robert Badinter, la peine de TIG sanctionne fermement les auteurs d’infractions passibles de contraventions de 5e classe ou certains délits punissables d’une peine d’emprisonnement.
Voici le témoignage de Robert Badinter à propos du Travail d'Interêt Général :
Par Philippe Ripoll, auteur
Texte d'ouverture de la journée interprofessionnelle "Quand justice et culture se rencontrent" 29 septembre 2022
Intervention du 29 septembre 2022, journée « Quand culture et justice se rencontrent »
«On se rend compte que tout commence quand on se rencontre, que nous avons vraiment beaucoup de questions à partager, des questions communes mais aussi, et c’est peut-être les plus intéressantes, de ces questions de l’autre, de celles auxquelles on n’avait pas du tout pensé ou qu’on avait pensé, à tort, dangereuses pour nous.
Quand les mondes de la justice et les mondes de l’art se rencontrent, ça devient un territoire, un espace vaste et plein de recoins, de niches, de chemins qui ne mènent nulle part, et de luttes aussi, des luttes honnêtes, plus honnêtes que la guerre : car dans ces rencontres, on ne se bat pas pour soumettre l’autre mais pour découvrir, toujours et encore, la place vitale qu’il a en vous.
Alors que vous êtes dans la sale guerre dès lors que vous voulez absolument arriver à vos fins et que vous avez peur des fins autres que les vôtres.
Par exemple, les artistes peuvent avoir peur pour leur art, quand on leur dit que ça doit absolument servir à quelque chose, et que même, si on les invite c’est pour ça, et pas pour autre chose, ça, ça peut leur faire peur.
Et les travailleurs, travailleuses dans la justice peuvent avoir peur, parfois, de ces artistes qui vont vouloir se faire du beurre, de la reconnaissance sur leur dos et sur le dos des gens qui font leur peine, des gens qu’ils, elles, travailleurs et travailleuses dans la justice, ont décidé d’accompagner dans leur peine.
Cette décision, d’accompagner les gens dans leur peine, ce n’est pas rien.»
Le 29 septembre 2022, Philippe Ripoll, Cirque théâtre d'Elbeuf
L'intégralité du texte est téléchargeable ici
Par René Frégni, auteur et animateur d'ateliers d'écriture en prison
Texte extrait de Carnets de prison ou l’oublie des rivières aux éditions Tract Gallimard (2019).
« Chaque fois que je franchis les portes blindées d’une prison et que les surveillants fouillent mon cartable, il me semble que j’apporte à ces hommes mieux qu’un 38 Spécial, une lime ou un téléphone portable. Chacune de mes poches est bourrée de mots, de sensations, de cris, de tendresse et d’émotion. La plus belle phrase que l’on m’ait jamais dite, même dehors, revient à un détenu qui entrait dans sa quinzième année de prison : « Je suis content quand tu arrives parce que tu sens la voiture, la femme et la forêt. »
Me croiriez-vous si je vous dis que j’ai rarement voyagé aussi loin qu’avec eux, dans l’immobilité apparente de notre petit groupe, à lire et écouter des phrases que certains pourraient juger maladroites mais qui, toutes, arrivent d’un lieu qui ne figure sur aucune carte et où gronde un souffle aussi fort que le temps.
Tous ont recopié, dans un coin de leur cahier, ces quelques mots de Fernando Pessoa, que j’adore et qui sont pour eux un miroir :
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.»
Par Robert Weil, philosophe, sociologue retraité de l’Université de Rouen, ex-président de l’ODIA Normandie
Pour comprendre les bénéfices d’une rencontre entre des personnes détenues et des porteurs d’actions artistiques et culturelles, je soulignerai le paradoxe systémique de cette situation.
De la forme ultime de l’emprisonnement jusqu’aux formes plus ouvertes de la surveillance ou de l’encadrement en milieu ouvert, tout oppose le système de détention au champ artistique et culturel. D’un côté, des formes sévères de privation de liberté imposées aux individus ; de l’autre un monde culturel et artistique offrant la liberté de créer dans une démarche complice. D’un côté encore, un espace coercitif, hiérarchisé, dont le maître mot demeure l’enfermement ; de l’autre un espace adapté, partagé et aménagé pour créer et offrir la jouissance de l’œuvre. Enfin d’un côté, un traitement punitif stigmatisant - contraintes physiques et temporelles, isolement du monde social, lot de souffrances - une misère symbolique et une consommation culturelle standardisée ; de l’autre un partage spirituel ouvrant les possibles, la rencontre de l’autre, l’expression créative de chacun amenant l’esprit vers le dépassement de soi.
Cette situation paradoxale est renforcée par l’état actuel du système pénitentiaire : surpopulation, exiguïté des espaces de vies, manque d’hygiène, promiscuité. Cependant la tâche n’est pas impossible…
Le monde carcéral, au bord de la saturation, se fixe aussi pour objectif de lutter contre la récidive en favorisant l’insertion par différents moyens dont celui de l’action artistique et culturelle.
Un des premiers effets de cet objectif est de redonner aux personnes détenues sa capacité d’expression et sa dignité en favorisant des activités qui sortent de la routine pénitentiaire : aménagement de bibliothèque, meilleur accès au livre et à la lecture, rencontres avec des auteurs, ateliers d’écriture, d’arts plastiques, de théâtre, cinéma, musique… dans le but de renouer avec les valeurs et les exigences du monde extérieur. Malgré l’absence de locaux appropriés, ces initiatives se mettent en place avec des structures, des associations culturelles publiques ou privées et des artistes indépendants en milieu pénitentiaire. Les différents ministères Justice, Éducation, Culture soutiennent ces projets.
Quels sont les effets de ces actions ?
Elles restaurent, pour la personne sous main de justice, sa dignité de citoyen, lui assurent la jouissance de ses droits culturels aux côtés d’artistes, d’acteurs culturels dans le cadre d’un atelier ou d’une rencontre. Elles ouvrent le lien au monde, apportent un enrichissement symbolique, nourrissent l’imaginaire. L’expression d’une créativité singulière, le partage, la rencontre, le travail collectif valorisent un nouveau soi.
Comme le souligne Marie Mondzain*, la Culture « c’est ce qui donne sa chance à la création, à l’invention et donc au changement ».
* Marie-José Mondzain est philosophe, directrice de recherche au CNRS.
Par Clotilde Labbé, directrice artistique et metteuse en scène pour la Compagnie Passerelles-Théâtre avec Samuel Desfontaines, comédien et metteur en scène
La compagnie Passerelles-Théâtre est intervenue au centre pénitentiaire de Caen avec 3 projets d'actions culturelles dans le cadre du dispositif Culture - Justice, et ce, avec 3 groupes différents de personnes détenues.
La dernière n'est malheureusement pas terminée en raison de la crise sanitaire. Samuel Desfontaines, comédien et metteur en scène de la compagnie est intervenu sur les 3 projets, accompagné par Clotilde Labbé sur des ateliers d'écriture - pour le dernier projet. L'objectif étant de permettre à des personnes détenues de découvrir le théâtre à travers la création d'un spectacle (de l'écriture au jeu) et de répétitions ouvertes d'un spectacle de la compagnie.
Il n'est pas facile de rentrer dans une prison. Des représentations et des peurs liées à ces établissements nous rendent un peu nerveux. Un imaginaire et une appréhension forte quant au bon déroulé des ateliers créent au départ une sorte de marche qui semble très compliquée à franchir. Il n'est pas facile d'oublier pourquoi les personnes sont là. Et puis, nous rencontrons les participants.
Samuel Desfontaines, que nous avons interrogé sur ses expériences, nous fait part de son émotion. Il parle même d'un bouleversement face aux personnes. Toutes ces peurs et représentations évoquées plus haut disparaissent devant l'imagination, la capacité de lâcher prise et la créativité de tous les détenus qu'il a pu rencontrer. C'est avant tout une aventure humaine et collective unique.
Ce qui est important et primordial, c'est de partager ces moments de créations avec eux, de leur permettre un temps d'évasion. Il s'agit d'accueillir leur force de proposition, leur imagination, leur créativité, l'envie de tout donner et de se surpasser. Quand les personnes sont là, elles sont là à 100 %. Il n'y a pas de demi-mesure et ceci est très agréable dans le travail avec eux. Au niveau du contenu des créations, ils se laissent aller et la parole est libre. Nous essayons toujours de travailler dans la bienveillance, et de laisser chacun s'exprimer. Ils ne sont pas pour autant dans la revendication. Très vite, ils passent à autre chose que les difficultés qu'ils peuvent rencontrer en détention. Pour toutes les expériences que nous avons menées, des participants ont écrit des textes et les ont proposés au groupe.
Samuel Desfontaines en est sorti grandi et changé, mais plus personnellement qu'artistiquement, même si cela nourrit sûrement son travail d'acteur.
Pour les personnes c'est d'abord apprendre, découvrir quelque chose qu'ils ne connaissaient pas. C'est aussi un endroit où ils peuvent s'exprimer, rigoler, penser à autre chose que des barreaux. Ils arrivent même à prendre du plaisir. Il y a une partie d'eux-même qui éclot, ça n'a pas de mesure. Ça leur permet de se reconstruire. C'est également une manière de se retrouver autour d'un projet, de partager des moments différents, de se découvrir et découvrir l'autre de son identité propre.