Ombres sonores est un objet journalistique réalisé à la Maison d'arrêt de Coutances et raconté par Isabelle Bordes (journaliste et médiatrice en information)

Le sens de mon engagement :

Comme pour chaque public avec lequel je travaille, je souhaitais permettre aux personnes détenues de consolider ou d'acquérir une "compétence médiatique" et une culture de l'information dans un double objectif : qu'ils puissent exercer leur droit de citoyen à s'informer, à savoir, et se forger une opinion librement, d'une part. D'autre part, qu'une plus grande aisance à se repérer dans le maquis médiatique les aide à reprendre confiance, mais aussi à s'exprimer ou acquérir des connaissances nouvelles.

J'ai choisi de m'engager dans l'éducation aux médias pour aider tous les publics à se familiariser ou se réconcilier avec l'information, comme ressource et comme outil d'autonomie et d'émancipation. Mais cela passe par la découverte de plusieurs fonctionnements : celui du journalisme, celui du système médiatique, et les nôtres, facilement happés par nos biais cognitifs.

Leur position singulière, dans un environnement quotidien où les médias audiovisuels sont très prégnants, et où le recours à internet est proscrit m'intéressait également, pour ma compréhension de journaliste.

Flyer de communication

Le projet de création d'un objet journalistique

Le projet d'abord prévu en mai 2023 a été réalisé entre le 18 janvier et le 13 février (inclus) 2024, à raison de 9 séances de 2h, auxquelles s'est ajoutée la journée du 30 janvier, avec le concert mis en place par le théâtre de Coutances l'après-midi, et, le matin, la conférence que nous avions organisée exprès à l'intention des apprentis-reporters. Nous avions rendez-vous généralement chaque mardi et jeudi après-midi, à la bibliothèque ou dans la salle de classe de la maison d'arrêt.

L'idée, qui a bien fonctionné, était de leur faire approcher les notions d'objectivité, de subjectivité et d'honnêteté à l'égard de la réalité.

Couvrir un spectacle suppose à la fois qu'on s'intéresse aux faits, mais aussi à l'émotion qui passe, qu'on ressent soi-même pour le spectacle et avec le public, le partage de cette émotion permettant a priori au lecteur de se faire une idée plus sensible du concert (ou du spectacle, etc).

Onze personnes ont participé à l'ensemble du projet, mais neuf personnes ont réalisé la double page. Car il y a eu une libération et un transfert. Mais pas de défection. Et deux des plus jeunes ont manqué deux séances en raison d'une formation professionnelle.

Ils ont tous témoigné d'une grande attention et se sont montrés le plus souvent volontaires.

Les méthodes d'éducation populaire que j'ai apprise auprès de collègues impliquées dans l'EMI au club de la Presse de Bretagne se sont avérées très adaptées pour ce public adulte.

Les séances ont été très denses. Il fallait en effet leur laisser le temps de m'expliquer leurs manières de s'informer, leurs goûts, leurs attentes et leurs analyses en la matière, avant de bâtir tout projet.

J'avais également prévu dans le déroulé deux séances particulières: l'une sur l'image de presse, parce que c'est le moyen le plus simple de faire prendre conscience du "point de vue", et de tout le nuancier entre le point de vue et le parti-pris, jusqu'à la manipulation malhonnête des faits. L'autre moment a permis d'aborder la couverture journalistique d'une audience : j'ai moi-même couvert de nombreux procès et ai pu échanger avec eux sur les raisons qui font dévoiler certains éléments, ou non, comme l'identité, et le dessinateur d'audience d'Ouest-France, Philippe Duhem, a pu expliquer son métier.

J'avais également sollicité celui-ci pour nous aider dans la mise en page, et exposer aux participants les dessous de la maquette et de la typographie. C'est un des moments qu'ils ont dit avoir préférés d'ailleurs.

Conférence de presse avec le TMC et le groupe Addis Abeba surf Club

Le conférence de presse : concert d'Addis abeba surf club

Le coeur du projet, la réalisation d'un "objet journalistique" à partir le concert d'Addis abeba surf club à la maison d'arrêt, s'est très bien passé : les musiciens choisis par Marie-Laure Scaramuzzino (Chargée de médiation et relations avec les publics au Théâtre Municipal de Coutances) ont été à la fois très ouverts et chaleureux, mais aussi professionnels dans la tenue de cette conférence de presse réservée aux détenus.

Nous avions pris soin de travailler ce moment en amont et tous les participants avaient trouvé de nombreuses questions qu'ils ont eux-mêmes posées. Ils s'étaient aussi préparé leurs propres questionnements sur le spectacle, afin de pouvoir écrire plus facilement. Nous nous sommes vite mis d'accord sur l'idée de réaliser une page spéciale, qui s'est transformée en double page compte tenu de toute la matière récoltée.

Durant les deux séances qui ont suivi, nous avons réparti les tâches comme dans une vraie rédaction : créer le titre, la maquette et le logo (avec P. Duhem), choisir les angles de sujet, les formats, les formes (brève interview récit etc), et travailler les photos.

Le temps manquant vraiment, j'ai dû faire le secrétariat de rédaction sans eux, grâce aux envois que me faisait l'enseignant entre les séances. Mais j'ai pris soin de conserver leurs textes au maximum, reconstruisant parfois des éléments pour rendre les articles plus cohérents et plus conformes à un contenu journalistique (je me suis inspirée du travail que j'avais pu faire avec "la copie" des correspondants de presse locaux lorsque je travaillais pour les pages de "petite locale" d'Ouest-France).

Mais j'ai justifié mes choix ensuite, comme dans une vraie rédaction d'ailleurs. La maquette a évolué jusqu'au bout, car l'un des participants a finalement relevé le défi d'un poème.

Nous avons clos le projet par une séquence sur comment démêler le vrai du faux, et j'ai été très heureuse d'entendre au moment du bilan qu'ils avaient bien retenu ce que j'avais souhaité leur transmettre, et notamment cette vigilance mêlée de confiance -et inversement- à l'égard des médias d'information.

Les partenariats :

J'ai trouvé des soutiens très importants et constants tant auprès de la coordinatrice pour le SPIP au Trident Aude Lecanu - avec Elise Attanasio- , de l'enseignant Sébastien Lahondes, de la médiathèque de Coutances (dont la précédente directrice m'avait même aidée dans la conception du projet), et du Théâtre Municipal de Coutances qui a tout de suite adhéré à mon idée de journalisme culturel, et qui a même organisé un concert dans le calendrier du projet (alors qu'il y avait eu un report de mai à janvier).

Le personnel de la maison d'arrêt a aussi été accueillant et facilitateur le plus souvent.

Téléchargez Ombres sonores en cliquant ici

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Le club de la Presse de Bretagne :

Le club de la Presse de Bretagne a joué un rôle important dans la conduite administrative du projet, mais j'en avais déjà bâti le contenu avant de découvrir la possibilité de me faire accompagner par cette structure.

En revanche, le dialogue avec mes homologues journalistes de la commission EMI, ainsi que les échanges ou formations proposés par le club ont largement nourri ma façon de faire.

Isabelle Bordes :

Je suis journaliste depuis 1990, principalement dans la presse régionale.

Après 30 ans à Ouest-France, j'ai décidé de prendre mon indépendance avec un double objectif : pouvoir creuser des sujets hors du rythme du quotidien et m'impliquer dans l'éducation aux médias, ou plutôt la médiation en information, car je m'intéresse beaucoup aux publics adultes qu'il ne s'agit certainement pas d'"éduquer".

Il s'agit pour moi du prolongement naturel de mon métier de passeur. Et puis, à quoi bon pratiquer un journalisme rigoureux si le public ne lit pas, voire perd toute confiance ?

J'ai toujours travaillé en menant de front une réflexion sur mon métier (dans un cadre syndical, puis à la commission de la carte de presse, désormais au sein du Conseil de déontologie journalistique et de médiation), c'est donc assez logique que je me sois finalement engagée dans l'EMI. (Et, toujours scrupuleuse, j'ai tenu à suivre une formation universitaire pour cela.)

Contact : isabellebordes.j@tutanota.com

Ombres sonores : objet journalistique à la Maison d’arrêt de Coutances