Présentation du projet :

En 2019 et en 2020, la compagnie Le Chat Foin, Rouen est intervenue dans 4 prisons de Normandie pour y proposer des ateliers d’écritures.

Ces ateliers étaient menés par un groupe de recherche composé de créateurs-trices qui sont à la fois comédien.ne.s, chorégraphe, créateur lumière, auteurs-trices. Au terme de ces ateliers, les participants se sont vu offrir un livret reprenant leur travail.

Un temps de restitution a également été organisé.

Au-delà de ces ateliers, l’objectif était de nourrir la création d’une pièce de théâtre : Les détaché.e.s,  un récit collectif qui utilise la poésie et la métaphore pour parler de notre intimité. En tout, ce sont vingt jours d’ateliers répartis entre les établissements qui ont fait émerger la matière à partir de laquelle la pièce a été créée. 

Le point de départ d’écriture des « Détaché.e.s » c’est donc la rencontre avec des personnes qui, à un moment de leur vie, se sont retrouvées en situation de détention, afin de raconter l’universelle fragilité de nos existences et de nos parcours de vie.

La première présentation d’une étape de travail a eu lieu en janvier 2020 au WIP de Colombelles. La présentation de la pièce a eu lieu lors du festival Terres de paroles le 15 octobre 2020.

La compagnie :

La Compagnie Le Chat Foin travaille depuis toujours autour des écritures contemporaines, du théâtre musical et du théâtre de troupe. Son outil premier reste la troupe, l’acteur, le groupe et l’humain avant tout.

La compagnie aime donner la parole aux personnages fragiles et marginaux, les laissés-pour-compte. Elle aime également les textes peu connus et le thème de la réconciliation. 

Autour des créations, une multitude d’actions de transmission artistique et d’ateliers sont menés avec des amateurs, des publics scolaires, en situation de détention, des primo-arrivants.

La compagnie travaille à la mise en œuvre de projets qui proposeront une autre façon de créer et de diffuser, des projets qui associeront vraiment le mot « infusion» à celui de « diffusion ».

Le lieu d’accueil :

Ces actions se sont déroulées à la Maison d’arrêt d’Évreux, au Centre pénitentiaire du Havre, au Centre pénitentiaire de Caen et au Centre de détention de Val-de-Reuil.

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3 questions à … :

Manon Thorel - comédienne et metteuse en scène

1 / Comment se sont déroulés les ateliers que vous avez menés au centre de détention de Caen ?

Nous sommes intervenus 10 jours, pour un atelier qui mêlait écriture et travail sur le corps.

Nous avons principalement axé le travail sur l’écriture dans un premier temps, à base de différents exercices mêlant fiction et témoignages. Nous avions prévenu les personnes détenues que cette matière pourrait éventuellement nous inspirer pour écrire notre spectacle. Nous étions à la recherche de témoignages sur le détachement.

Nous ne savions pas encore où nous allions. Leurs paysages personnels, parfois par de micros détails, ont inspiré le démarrage de notre synopsis. Pour la plupart, les détenus ont saisi cette proposition de se raconter avec beaucoup de sincérité. D’autres se sont plus cachés derrière la forme pour ne pas trop se livrer. Mais de manière générale, l'endroit de travail a été plutôt bien accueilli et une confiance s’est installée entre eux et nous.

2 / Qu’est ce que ces rencontres avec des personnes détenues ont amené dans votre écriture et dans le jeu ?

Notre spectacle parlait de détachement mais ce terme large pouvait nous emmener un peu partout. Nous avions pensé faire un spectacle sur le parcours d’un migrant, puis il a été question d’évoquer le deuil, et enfin, suite à notre rencontre avec les personnes détenues nous avons eu envie de parler de la famille. Du microcosme familial.

En effet dans les souvenirs des participants ce qui revenait le plus souvent c’était le rapport aux enfants, et au père. Et ce qui nous a frappé c’est l’absence de mots sur la mère. Les mères n’étaient citées que parce qu’elles étaient présentes, une présence logique, attendue. Mais le père, pourtant visiblement bien plus absent, faisait toujours figure d’autorité, de modèle, suscitait l’admiration, quand bien même on sentait poindre dans certains récits la tyrannie paternelle.

Ces anecdotes sur leurs souvenirs d’enfance, heureux et malheureux, ont beaucoup inspiré la ligne de notre spectacle. Car la somme de toutes ces histoires racontait des parcours cabossés, carencés. Et des figures de patriarche assez toxiques. Il nous a semblé voir que c’était une constante. Et donc peut-être le début d’une explication à leurs parcours, leurs actes criminels. Imprégnés par ces rencontres, c’est ce fil que nous avons eu envie de tirer. Questionner la construction identitaire dans le cadre familial. Comment nos modèles ou nos socles affectifs quand on est enfant ou adolescent induisent des choses sur l’adulte en devenir.

3 / Le regard que vous aviez sur les personnes détenues a-t-il changé durant les rencontres ?

En effet. Il n’est pas évident de débarquer dans un cadre pénitentiaire notamment vu la spécificité des crimes que certaines des personnes détenues dans cet établissement ont commis.

Il y a de l’appréhension et un brin de jugement. Nous avons été assez remué par ce que ça nous demandait. Notre mission, notre devoir, lorsque nous animons des ateliers est de créer un cadre bienveillant et valorisant pour que chacun puisse s’y épanouir et s’exprimer. Il y a l’idée, notamment quand on intrevient dans des cadres particuliers comme ici, d’apporter un peu de fraîcheur et d’horizon. Mais face à ce public là, au démarrage nous avons été assez secoués entre notre endroit de travail réflexe, notre envie de bien faire, de poser sur eux un regard tendre et bienveillant, et le jugement impossible à réfréner, le non désir de les excuser. C’était assez troublant. Et puis au fur et à mesure des jours, des échanges, des exercices, nous avons fini par être touchés. Nous étions face à des hommes, pas des monstres. Et de plus, pour la plupart, des hommes abîmés, cassés, par la détention, leurs pathologies, leurs traitements, leurs parcours, leur isolement. Nous ne pouvions excuser leurs actes mais nous pouvions nous attendrir sur le gâchis de ces vies humaines, qui elles-mêmes au démarrage n’ont pas été préservées. Cette humanité froissée nous a touchée et la rencontre s’est faite. 

Les Détaché.e.s